Un certain nombre de personnes abordent l´apiculture avec l´idée erronée qu´« il faut laisser faire la nature ». Selon elles, il faut limiter au maximum les interventions dans les ruchers. Peu ou pas d´apports de nourriture, pas de renouvellement des reines, pas de manipulation des cadres.
L´argumentaire pour défendre cette erreur est toujours le même: « les abeilles existent depuis des millions d´années et elles s´en sont très bien sorties toutes seules, donc laissons faire la nature, qui, de toutes façons fait toujours bien les choses ».
Oui, mais voilà: le problème est que la nature n´a pas du tout les mêmes « intentions » que l´apiculteur. Le cadre naturel qui régit la vie sur terre est très simple: les quelques individus (de n´importe quelle espèce) qui parviennent à répondre aux exigences (par ex. physiologiques) survivent et transmettent leurs gènes.
Les autres meurent.
C´est la raison pour laquelle la mortalité naturelle dans les populations animales est très élevée. Les abeilles n´échappent pas à cette règle : dans la nature, après un essaimage, la mortalité des colonies nouvellement installées au cours du premier hiver est environ de 80% (1). L´espèce s´en sort depuis des millions d´années, certes, mais la très large majorité des colonies périssent rapidement. Qu´on le veuille ou pas, c´est la loi de la nature.
Par conséquent, laisser faire la nature signifie laisser mourir les colonies qui ne parviennent pas à répondre aux exigences du cadre naturel, pour une raison quelconque. Si l´on choisit de partir sur ce principe en apiculture, il faut donc en avoir clairement conscience et accepter ce qui va se passer : une forte mortalité, qui peut atteindre 100% du cheptel, année après année.
Or, on peut affirmer sans prendre trop de risques qu´en général, l´apiculteur espère observer très exactement l´inverse dans son rucher : il veut que la totalité, ou au moins la majorité, de ses colonies survivent.
Ses intentions sont donc à l´opposé de celles de la nature.
Et comme si la situation n´était pas assez compliquée comme ça, deux problèmes viennent encore s´ajouter :
1/ L´apiculture est directement dépendante de la couverture végétale puisque c´est de celle-ci que proviennent les ressources alimentaires des abeilles. Or, cette couverture végétale change rapidement, du fait des activités humaines. La disparition des haies, l´étalement urbain et la nature des espèces végétales en grandes cultures sont devenus dans certaines régions de vrais défis pour l´apiculture. Les abeilles ont de plus en plus de mal à trouver nectar et pollen.
2/ Les conditions météo influencent directement le développement des colonies. Le froid et la pluie réduisent fortement les possibilités de sorties pour butiner. Une météo atroce, comme cela est le cas cette année, a des conséquences catastrophiques sur la survie des abeilles.
C´est pourquoi laisser les abeilles « se débrouiller toutes seules » ne peut en aucun cas être une stratégie apicole, sinon c´est le désastre assuré. Il faut intervenir, aider, accompagner les abeilles. Oui, c´est du boulot et c´est du temps passé au rucher. C´est là toute la mission de l´apiculteur, qu´il soit amateur ou professionnel, qu´il ait une seule ruche ou plusieurs centaines.
Bibliographie
1 Seeley, T.D. Life-history traits of wild honey bee colonies living in forests around Ithaca, NY, USA. Apidologie 48, 743–754 (2017). https://doi.org/10.1007/s13592-017-0519-1
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